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Guidé par les couleurs

Gary Cummiskey parle à Robert Roman de Pascal Ulrich

Voir les œuvres de Pascal Ulrich ici

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L'artiste et poète Pascal Ulrich est né à Strasbourg en 1964. Il commence à écrire de la poésie à l'âge de 16 ans et crée à 23 ans une petite revue de poésie intitulée Dada 64. À 25 ans, après une tentative de suicide et un séjour en hôpital psychiatrique, il reçoit une pension d'invalidité et peut désormais se consacrer à l'écriture et à l'art. Ayant lutté toute sa vie contre la dépression et des problèmes d'alcool, Ulrich s'est suicidé en 2009.

Pascal Ulrich and Robert Roman in Toulouse in August 2000.jpg

Robert Roman is a poet and artist who befriended Ulrich in 1994. After Ulrich’s death he published a biography of him, The Lucid Dreamer,  plus several collections of Ulrich’s poems and drawings. In 2014 he formed  the BAKOU 98 association to preserve Ulrich’s work. He  also created a blog devoted to Ulrich’s poetry, art and life.

Quand et comment avez-vous rencontré Pascal Ulrich ? Connaissiez-vous son art ou sa poésie avant de le rencontrer ?

Pascal Ulrich m'a écrit une première lettre le 16 juin 1994. Je l'ai reçue deux jours plus tard, directement sur mon lieu de travail. La lettre était accompagnée d'un collage. Dans sa lettre, Pascal m'explique qu'il me contacte suite à une demande de Patrick Oustric, avec qui il correspondait depuis plusieurs années. Et il se trouve que ce Patrick Oustric, poète et grand amateur de lettres anciennes, était un de mes collègues de travail ! À cette époque, je n'avais pas entendu parler de Pascal Ulrich. J’ai répondu très vite et c’est ainsi que notre amitié a commencé. Nous avons correspondu pendant quinze ans à raison d'au moins une lettre par semaine et nous nous sommes rencontrés huit fois à Toulouse et une fois à Strasbourg.

L’art de Pascal se composait de dessins à l’encre, de mail art, de peintures acryliques, de peintures murales et d’objets. Lequel a-t-il préféré ? Je n’ai vu qu’un ou deux de ses collages – le collage ne l’intéressait-il pas ?

Son art a été guidé avant tout par une évolution et une inspiration constantes au fil de ses expériences et découvertes dans sa vie d'homme et d'artiste. Au début, il s’agissait simplement de dessins au feutre sur de simples feuilles de papier ou de gouaches sur papier Canson. Puis en 1996, il commence à décorer ses enveloppes. Ses premiers essais furent maladroits car Pascal ne savait pas dessiner. À partir de 1997, ses dessins aux feutres de couleur s'embellissent et c'est à ce moment-là qu'il trouve son propre style : des formes qui serpentent autour de plusieurs têtes. C’est ainsi que débute son Art Postal, qu’il diffuse ensuite à travers le monde.

 

Pascal s'intéressait au collage, mais à ma connaissance il pratiquait très peu cet art.

 

Durant l'été 1998, à l'atelier multiculturel du port de Kehl, à la frontière franco-allemande, auprès d'un sculpteur sur métal allemand, il découvre la peinture acrylique et prend à cette occasion le pseudonyme de Bakou.

Mais c’est finalement la technique des feutres de couleur avec laquelle il se sent vraiment à l’aise. Elle prévaut dans l'ensemble de son œuvre car Pascal avait un sens inné du jeu avec les couleurs, que ce soit sur des enveloppes ou sur des feuilles de différents formats.

L’œuvre de Pascal pourrait être qualifiée d’Art Brut. Considérait-il son travail comme tel, ou n'aimait-il pas que son travail soit catégorisé ?

Oui, je pense qu’on peut qualifier le travail de Pascal d’Art Brut même si lui-même ne l’a jamais formulé ainsi. Pascal rejetait beaucoup de choses : la société, la famille, les traditions, avoir des enfants, célébrer Noël ou les anniversaires et même les contraintes des galeries d'art. Il refusait d'obéir à certaines règles et n'appréciait donc guère qu’on puisse lui mettre une étiquette sur le dos.

Son art est figuratif – il s’agit toujours de figures – et non de scènes, de paysages ou de natures mortes. En ce sens, son travail me rappelle Gaston Chaissac – a-t-il été influencé par Chaissac?

Comme Chaissac, Pascal était un autodidacte. Il a trouvé son style tout seul, même si Chaissac a été influencé par Picasso. Je pense que Pascal n'était pas indifférent au travail de Chaissac, mais il aimait aussi Edvard Munch et Hans Arp, dont les formes dessinées et les couleurs se retrouvent également dans les dessins de Pascal.

 

Il semblerait que Pascal n’ait pas donné pas de titres à ses œuvres - est-ce exact ?

Pascal a donné à plusieurs reprises un titre à un dessin ou à un tableau, mais il a inscrit le titre directement sur l'œuvre. Il le faisait aussi parfois sur les enveloppes qu'il décorait. En général, cependant, il s’agissait plus d’une maxime ou d’une phrase que d’un véritable titre.  Mais il l’a rarement fait tout au long de son œuvre.

Pascal était aussi un poète très prolifique. Je pense que Bukowski a eu une grande influence. Quels poètes aimait-il lire ?

Pascal dessinait plus qu'il n'écrivait et peut-être son principal défaut en tant que poète était-il de se contenter de la première ébauche. En fait, Pascal retravaillait rarement ses textes. Il lisait beaucoup et Bukowski était dans sa bibliothèque mais il appréciait aussi Jules Mougin avec qui il a correspondu quelque temps, ainsi qu'Armand Olivennes, Jean-Jacques Lebel, Henri Michaux, Allen Ginsberg, Benjamin Péret, Baudelaire, etc.

Pascal était également éditeur, publiant de petites plaquettes sur son propre travail et d'autres. Je m'intéresse au petit journal de poésie qu'il a lancé à la fin des années 1980 et qui s'appelle Dada 64. Pourriez-vous nous parler de ses publications ?

En effet, en 1987, Pascal publie Dada 64, une petite revue de poésie qu'il a confectionnée lui-même et qui a duré trois numéros. À l'intérieur, on peut retrouver ses textes ou dessins mais aussi ceux de Marc Syren, Jacques Lucchesi, Gaston Criel, Marjan ou Jacques Canut. Par la suite, aux éditions Dada 64, il publie également plusieurs plaquettes de poésie.

 

En 1991, il crée Absurde Crépuscule et auto-édite trois opuscules.

 

En 1992, Pascal invente « L'ours qui parle », une feuille simple, recto, au format A4 et photocopiée, distribuée par courrier et contenant chaque fois deux ou trois poèmes de sa plume.

En 1996, il réintroduit Absurde Crépuscule. Cette entité poétique fut sa maison d'édition jusqu'en 1998, puis une revue de poésie du même nom à partir de 1997, qui s'arrêta après trois numéros.

 

Enfin, début 2008, il publie « Epitaphes », une série de 105 aphorismes, et qui est le dernier recueil chez Absurde Crépuscule.

Pascal aimait aussi la musique, allant du classique au rock. Il était un grand amateur de groupes comme Soft Machine et de musiciens comme Nick Drake. Dans l'une de ses dernières lettres, à Bruno Sourdin, il évoque Syd Barrett. Est-ce qu'il écoutait de la musique pendant qu'il travaillait ? L’a-t-il trouvé inspirante ?

Pascal était un insomniaque. Le soir, pendant que sa compagne dormait, il écoutait toutes sortes de musiques tout en écrivant des lettres ou en décorant des enveloppes. Cela pouvait durer une grande partie de la nuit, mais il se levait toujours tôt le matin. Pascal avait une grande sensibilité et la musique qu'il écoutait pendant des heures guidait sa main sur le papier.

À un moment donné, Pascal essayait de créer un centre artistique, semblable à la Factory de Warhol, mais celui-ci n’a pas tenu longtemps. Que s'est-il passé ?

L'atelier multiculturel dans le port de Kehl, en Allemagne, de juillet à décembre 1998, a été pour Pascal une grande expérience artistique et humaine, une grande attente mais aussi une grande déception. Je n'ai jamais su la fin de l'histoire mais d'après ses lettres de décembre 1998 et janvier 1999, son « associé », le sculpteur sur métal allemand, s'est révélé être un véritable salaud. Pascal, totalement intransigeant et libertaire, ne l’a pas supporté et a donc abandonné immédiatement six mois de travail et d'espoir.

Pascal a quand même réussi à faire quelques expositions hors de France, comment sont-elles nées ?

Pascal a exposé à Cuba, en Grande-Bretagne, au Mexique, en Allemagne et au Brésil, entre 1996 et 1999. Mais hormis l'exposition de Kehl en décembre 1998, Pascal ne s’est jamais rendu dans les pays étrangers où il a exposé. En fait, je connais très peu l’histoire de ces expositions. Concernant celle au Mexique en 1998, je pense qu'il a pu y participer grâce à Ana, une amie violoniste mexicaine qu'il avait rencontrée à Strasbourg fin 1997 et qui avait dû emporter quelques-unes de ses œuvres avec elle dans sa valise. Pour le reste, j'imagine que ses relations épistolaires et les nombreux contacts avec des artistes, auteurs et éditeurs étrangers ont rendu possible sa participation à ces expositions.

Pascal a eu un problème d'alcool tout au long de sa vie. Cela a commencé quand il était adolescent et vers la fin de sa courte vie, il a recommencé à boire et pouvait devenir violent lorsqu'il était ivre. Mais comment était-il quand il était sobre?

Lorsque j'ai rencontré Pascal pour la première fois en août 1997, il ne buvait plus une goutte d'alcool suite à une pancréatite aiguë contractée en octobre de l'année précédente. Nous nous sommes ensuite vus huit fois, et hormis sa dernière visite en mai 2008, qui s'est mal terminée car il était ivre, j'ai eu la chance de ne le connaître que complètement sobre. J'ai donc connu la plupart du temps un homme intelligent, charmant, calme et généreux, curieux de tout, espiègle et qui avait beaucoup d'humour.

Depuis la mort de Pascal, vous avez essayé de convaincre les musées d'art de prendre ses œuvres, mais cela n'a pas abouti. Pourquoi les musées ne s’intéressent-ils pas à son travail ?

En 2014, j’ai créé l’association BAKOU 98 dont le but est de faire connaître et pérenniser l’œuvre écrite et picturale de Pascal. La première action de l’association a été de tenter de respecter les dernières volontés de Pascal. En effet, dans son testament, il a souhaité que ses dessins, peintures et sculptures soient confiés à la ville de Strasbourg. Malheureusement, après des mois de procédures et de discussions avec la mairie, ils n'étaient pas disposés à reprendre les archives Ulrich. Les raisons invoquées par la directrice culturelle étaient qu'il était impossible de donner suite à notre proposition compte tenu des orientations des collections municipales et des nombreuses demandes faites aux musées de la ville.

 

Suite à ce premier échec, l'association a contacté différents musées présentant l'Art Brut. La première fut La Collection de l’Art Brut de Lausanne en Suisse, qui a très vite décliné notre proposition, invoquant un budget restreint et une limitation de ses espaces de réserve, l’obligeant à être très sélective quant à l’acquisition de nouvelles pièces. Deuxième échec.

 

Par la suite, la Halle Saint-Pierre de Paris m'a fait savoir qu'elle ne pouvait accepter notre don car elle ne possédait pas de collection. Le Musée de la Création Franche à Bègles m'annonce qu'il fermera ses portes pour travaux pendant au moins quatre ans. Le Musée d’Art Brut de Montpellier m’a indiqué qu’il est sollicité de toutes parts et que, faute de place, il ne peut considérer les offres qui lui sont proposées. Cependant, deux ans plus tard, le musée accepte un don d'enveloppes décorées par Pascal, qu'il présentera éventuellement lors d'une exposition d'art postal. Ça y est ! Pascal Ulrich est entré dans un musée grâce à son Art Postal, mais ses enveloppes ne resteront-elles pas au fond d'un tiroir ?

 

Tous les autres musées contactés en France : La Fabuloserie à Dicy, le Musée Art et Déchirure à Rouen, le LAM près de Lille, le Musée des Abattoirs à Toulouse et le MIAM à Sète, aucun n'a répondu à mes mails et messages de rappel.

Vous avez publié à titre posthume quelques livres sur l’œuvre de Pascal. Pourriez-vous nous en parler, ainsi que sa biographie que vous avez publiée ?

Le premier livre que j'ai publié à mes petites éditions de poésie, cinq ans après la mort de Pascal, était un livre en couleurs de 360 ​​pages consacré à l'homme, au poète et à l'artiste qu'il était. Cette biographie a été publiée en octobre 2014 et s'intitule Pascal Ulrich – Le rêveur lucide. Nous pouvons y suivre tout son parcours depuis sa naissance jusqu'à sa mort et au-delà. L'ouvrage est agrémenté de nombreux poèmes, lettres, photos, dessins et peintures, ainsi que de témoignages de personnes qui l'ont connu.

 

Cinq autres livres ont ensuite été publiés entre 2015 et 2022. Les quatre premiers sont des recueils de poèmes et d'aphorismes écrits par Pascal en 1992, 1995, 1996, 2006 et 2007, dans lesquels cohabitent l'urgence, la fulgurance, le désespoir, la révolte et la mort, mais aussi la passion et l'amour.

 

Le dernier recueil contient uniquement une série de dessins exécutés au feutre noir en 2004.

Je suis une ombre glacée

dont le charme est dans le fruit

du mélancolique crépuscule

 

*

Bonjour, quel plaisir

Au revoir, quel soulagement

Adieu, quelle fatalité

 

Pascal Ulrich, 1964―2009

Voir les œuvres de Pascal Ulrich ici

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